Guet armé contre les flammes dans le ciel

Publié le par robert

SÉCURITÉ CIVILE. Olivier Lechevalier est un soldat du feu volant, aux commandes de l'un des deux bombardiers d'eau amphibies détachés à Mérignac, les mythiques Canadair

Olivier Lechevalier, commandant de bord sur pélican jaune et rouge bombardier d'eau. (photo A.D.B.)
Olivier Lechevalier, commandant de bord sur pélican jaune et rouge bombardier d'eau. (photo A.D.B.)

Qu'on se le dise : aucun baigneur n'a jamais été avalé par mégarde par un Canadair faisant le plein de munitions pour sa guerre contre le feu, et aucun ne le sera cette année sur le lac de Lacanau. C'est physiquement impossible : ces vastes oiseaux amphibies fabriqués par Bombardier Rotax (la firme canadienne qui a lancé le skidoo, dans un tout autre genre) avalent leur ration de 6 tonnes et demie d'eau à 120 km/h via une écope qui n'est pas plus large que la main.

Il paraît que cette légende a été lancée par un équipage facétieux en bisbille avec un journaliste d'un quotidien niçois : ils auraient habillé l'un d'entre eux d'une combinaison de plongée, à la suite de quoi il serait sorti des flammes en prétendant avoir fait partie du largage. Et le confrère aurait gobé... En tout cas, c'est ce qui se raconte dans le petit monde solidaire des pilotes de Canadair.

« Guerrier »

Pour Olivier Lechevalier, cette seconde carrière a débuté en 1991. Pendant dix-huit ans, il a gardé l'espace aérien français à bord d'un Mirage 3, mais l'ennemi ne s'est jamais montré. Et on sent bien que ça lui a manqué : « Il n'y a rien de plus terrible que d'être un guerrier en temps de paix. Toute notre existence de militaire, on l'a passée à s'entraîner à être une arme efficace, et hélas, enfin, heureusement pour la nation, on n'a jamais combattu... Les premières opérations sérieuses, c'était le Koweït, un an après mon départ. Quand on est un doberman, il est parfois intéressant d'aller mordre quelques mollets ! »

À la retraite à l'âge de 47 ans, « beaucoup trop tôt pour qui a une famille à entretenir », le capitaine Lechevalier n'est pas très attiré par « la ligne », la carrière de commandant de bord au sein d'une compagnie aérienne, dans laquelle se recyclent beaucoup de ses camarades. Alors, quand on lui propose d'intégrer la sécurité civile, avec à la clé quelque 200 ou 300 missions réelles par an contre un ennemi féroce, l'incendie, et en prime la reconnaissance de la nation, il n'hésite pas beaucoup... « Quand on parle de ceux qui éteignent les incendies, là, même les impôts passent bien. Alors que quand on dit que son boulot, c'est de tuer des gens, forcément... »

Pélicans

C'est la première année que le sud-ouest de la France dispose d'un détachement permanent de deux Canadair, à demeure sur le « pélicandrome » de la BA 106 de Mérignac. Une décision « politique, pas forcément en phase avec les réalités du terrain », estime le pilote, qui mène sur la base l'équivalent anti-incendie de la « drôle de guerre » : « On a dû faire deux ou trois guets armés, et éteindre deux ou trois petits feux... Et encore, parce qu'on était déjà sur place. En fait, on n'a pas encore eu besoin de nos services. » « Les moyens de la France étant ce qu'ils sont », il arrive qu'on rapatrie à Marignane, où ils sont basés d'habitude, les deux pélicans de Mérignac, comme lors des incendies de Marseille de ce mois de juillet.

Et puis pour ces hommes habitués à épouser le relief du Sud-Est en diminuant les gaz au maxi, pour attaquer des feux attisés de manière erratique par le mistral, les feux d'ici, c'est un peu de la gnognotte : « Ils se développent harmonieusement, en cercle autour de leur foyer d'origine, et la fumée monte droit, ne dissimulant pas le front de flamme. Pour nous, c'est beaucoup plus simple ! » Désolé pour l'homme d'action, on essaiera de faire mieux la prochaine fois... Seule la hauteur relative des arbres peut ici surprendre le pilote : « Nous sommes très spécialisés, donc on se mécanise sur tout plein de choses sans même s'en apercevoir. On a l'habitude de travailler sur des arbres qui font 10 ou 20 mètres de haut, alors quand on arrive ici, on se dit "mais c'est quoi ces grands machins ?" »

Ces grands machins, c'est un peu la raison pour laquelle la région a souhaité se rassurer avec deux avions à demeure. Suite à la tempête, la forêt landaise n'a certes pas besoin d'un incendie en plus, d'autant que les arbres couchés rendent plus difficile l'accès des pompiers au sol à certains secteurs. Vu du ciel, ce n'est pas vraiment un problème.

Éviter les ennuis

C'est ainsi que les équipages de deux Canadair se relaient tout l'été, chaque semaine, sur cette base dont les infrastructures ne permettent pas l'accueil des autres appareils bombardiers d'eau en service dans l'Hexagone, et dont le ravitaillement se fait au sol : les trackers, 3 tonnes d'eau embarquée, pour cibler les feux naissants, et les Dash 8, gros porteurs de 10 tonnes d'eau, qui larguent les produits retardateurs.

Les Canadair sont les seuls à se ravitailler n'importe où, et dans la région ce ne sont pas les lacs qui manquent. D'habitude, c'est plutôt sur le fleuve, au bec d'Ambès ou à Beautiran, que les pélicans préfèrent boire.

Tout comme la doctrine de dissuasion a peut-être évité à Olivier Lechevalier de combattre en plein ciel, la technique française de lutte contre l'incendie consiste principalement à éviter les ennuis. « Contrairement à ce que l'on croit, on ne met pas l'essentiel des moyens à combattre les plus gros feux. Quand un feu est parti, on peut éventuellement le contenir mais pas l'arrêter. Donc, nous ciblons en priorité les feux naissants, ce qui est parfois difficile à comprendre pour le camarade au sol qui réclame des moyens supplémentaires et à qui on dit qu'on va quitter son feu de 5 000 hectares pour attaquer une poubelle en flammes. Mais si on ne s'en occupe pas, dans deux heures, elle fait 5 000 hectares aussi. C'est ce que n'ont pas su faire les Grecs, en 2007. Au bout d'une semaine, ils se sont retrouvés avec 200 gros feux à gérer. » Il le sait, il y était.

Auteur : Antoine De Baecke
a.debaecke@sudouest.com

Publié dans La sécurité

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A
<br /> Je l'ai relue... Certes les mots que vous citez n'y figurent pas, mais il me semble que la phrase "Ceux qui sont à l'origine de leur présence doivent se retourner dans leur tombe en lisant cet<br /> article", "leur" renvoyant à "grands machins",  les évoque, non?<br /> Il est vrai que cette réaction exprime un amour de la région que l'on peut trouver admirable. Néanmoins, l'avis du pilote est à prendre en considération, "les moyens de la France étant ce qu'ils<br /> sont" et des feux de grande ampleur se déclarant tous les ans dans le sud est, avec des conditions d'accès au sol beaucoup plus difficiles. On peut ne pas être d'accord, mais de là à se retourner<br /> dans sa tombe...<br /> Merci en tous cas de votre intérêt pour mon article.<br /> <br /> <br />
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C
<br /> <br /> "Insultant" ? "vexé" ? Je ne vois pas ces termes dans la réaction de Vive la Forêt ! Relisez. C'est plutôt beau comme réaction<br /> <br /> <br /> <br />
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A
<br /> Bonjour,<br /> je ne pense pas que les termes "grands machins" appliqué à des arbres soient insultants... Ils expriment simplement la surprise du pilote confrontée à des obstacles inhabituels. A vrai dire, j'ai<br /> du mal à imaginer comment quelqu'un peut être vexé parce qu'on a traité des pins landais de "grands machins".<br /> <br /> <br />
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V
Et bien, ces "grands machins" on les aime, on les a dans le coeur. Ils font l'identité de notre région. Ceux qui sont à l'origine de leur présence doivent se retourner dans leur tombe en lisant cet article. L'humour de ce pilote ne nous fait vraiment pas sourire. Il n'était pas là en 89 quand la région a été confrontée à un feu de cîmes et qu'il a fallu 3 jours avant que les canadairs arrivent pour enfin stopper le feu qui avait déjà ravagé des milliers d'ha. OUI M. LECHEVALLIER, NOUS AVONS BESOIN DE CANADAIRS BASES DANS LA REGION PENDANT LES PERIODES A RISQUES et VLF est fière d'avoir contribué à cette présence.
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