La justice au secours des com munes polluées

Publié le par robert

La décision de la Cour de cassation concernant la pollution par l'« Erika » et le groupe pétrolier Total ouvre une brèche en faveur des communes de notre région victimes de la marée noire provoquée par le naufrage du « Prestige »
La plage d'Hossegor (40) dans un triste état début 2003 (photo guillaume bonnaud)
La plage d'Hossegor (40) dans un triste état début 2003 (photo guillaume bonnaud)

Corinne Lepage, avocate spécialisée dans le droit de l'environnement qui s'est rendue célèbre par sa ténacité couronnée de succès dans l'affaire de l'« Amoco Cadiz », a remporté jeudi une nouvelle victoire dans sa lutte contre les pollutions marines. Elle a fait admettre par la Cour de cassation qu'un affréteur était le responsable de la cargaison d'un navire. Une décision très importante obtenue à l'encontre du pétrolier Total concernant le naufrage de l'«Erika» fin 1999.

Elle explique : « J'ai considéré que ce n'était rien d'autre qu'un déversement de déchets, ce qui n'avait jamais été envisagé. J'ai donc assigné au nom de la commune de Mesquer, en Loire-Atlantique, mais toutes les autres pourront s'engouffrer dans la brèche qui vient d'être ouverte. »

Elle a donc lancé l'affaire modestement devant le tribunal de commerce de Saint-Nazaire pour qu'il soit jugé que l'affréteur était le producteur des déchets. Après avoir perdu à Saint-Nazaire et en appel à Nantes, elle s'est pourvue en cassation.

« La Cour de cassation a posé trois questions préjudicielles à la Cour de justice européenne. Elle a demandé si ce qui était dans la soute était du déchet. J'ai perdu sur ce point. Elle a demandé, de plus, si les boulettes qui ont pollué le littoral étaient des déchets et si l'affréteur pouvait être tenu pour responsable de ces déchets et condamné à nettoyer les plages. »

Selon Corinne Lepage, « le producteur de ces déchets, dès lors qu'il a une responsabilité dans la survenance de l'accident, doit assumer le coût du nettoyage puisque le principe du pollueur-payeur s'applique. Et si le Fipol ne prend pas tout en charge, c'est à l'affréteur de payer la différence. »

En appel à Bordeaux

La Cour de cassation ayant cassé l'arrêt de la cour d'appel de Nantes, le producteur du produit générateur de déchets doit payer le nettoyage, et elle a même ajouté que sa responsabilité était engagée dès lors qu'il avait pris un risque dans la survenance du dommage. C'est la cour d'appel de Bordeaux qui devra fixer le montant de l'indemnisation.

Nous sommes donc « bien en amont de la responsabilité pénale : un simple risque suffit. Les sociétés pétrolières savent maintenant qu'elles ne seront plus à l'abri de leurs responsabilités. Total a complètement perdu sur toute sa stratégie qui était de prétendre qu'un affréteur ne peut jamais être responsable d'une pollution marine », se félicite l'avocate.

Malheureusement, la procédure sur le « Prestige » avait été « très mal engagée du fait de l'État ». La procédure a été transférée en Espagne et des communes françaises ont préféré abandonner. « La question se pose de savoir si on ne pourrait pas reprendre les choses sur un plan civil, sur la base de la jurisprudence de la Cour de cassation, en établissant simplement qu'un risque a été pris dans la survenance du dommage. Cela permettrait aux communes d'obtenir une indemnisation, puisque le Fipol a très peu payé. La décision d'hier est donc tout à fait révolutionnaire. Il suffit aujourd'hui d'attraper un des acteurs qui a pris un risque, un acteur solvable s'entend, et de lui demander l'indemnisation. »

Forte de son succès avec l'« Erika », Corinne Lepage se dit prête à reprendre le dossier du « Prestige » (naufrage en novembre 2002), qui est aussi encalminé que l'était celui de l'« Erika » : « Si les communes me demandent de me replonger dans le dossier, je suis prête à le faire. Je travaillais avec Biarritz, Soulac, Lacanau, Gujan-Mestras, Lège-Cap-Ferret, toute la baie d'Arcachon », dit-elle.

Me Renaud Lahitète, qui est l'avocat de 17 communes landaises touchées par le naufrage du « Prestige », fait néanmoins remarquer que la situation est différente. « Nous n'avons pas en face de nous de responsables solvables. » Le bateau, construit en 1976 au Japon, était, en effet, la propriété d'une société du Liberia, filiale d'un armateur grec. Il battait pavillon panaméen, avait été affrété par une société suisse, elle-même filiale d'un conglomérat russe, et naviguait avec un équipage roumain et philippin dirigé par un capitaine grec. « Reste, explique l'avocat montois, qu'un rapport d'expert a conclu que la catastrophe n'était pas en rapport avec l'état du navire mais avec la façon dont les autorités espagnoles avaient géré la situation en éloignant le navire des côtes au moment où la mer était très agitée. »

Satisfaction à Seignosse

La complexité de la situation n'empêche pas le maire de Seignosse, dans les Landes, de se féliciter de la décision de justice.

« Nous comptons aller jusqu'au bout, assure Ladislas de Hoyos. La somme versée par le Fipol (70 000 euros) n'est que provisoire. Nous avons dépensé beaucoup plus avec l'utilisation des cribleurs et des moyens humains nécessaires pour les faire fonctionner. Je considère que la nouvelle envoyée par la Cour de cassation est une bonne nouvelle parce que les affréteurs ont une grande part de responsabilité dans les pollutions et qu'ils ne pourront plus se dédouaner d'utiliser des poubelles flottantes. D'autant que les compagnies pétrolières croulent sous le poids de l'or. Après une première saison touristique fichue, nous avons dû nettoyer en pro- fondeur pour retrouver une situation normale. Je parle pour ma commune mais aussi pour la dizaine d'autres alentour qui se sont groupées dans un syndicat mixte. » Xavier Pintat, le maire de Soulac (33), est du même avis sur l'importance de la décision de la Cour de cassation. « Les responsables sauront à l'avenir qu'ils ne peuvent pas bénéficier de l'opacité qui règne dans ces affaires. On finira par les trouver. » Ce qui ne pousse pas pour autant le maire à vouloir engager de nouveau des actions judiciaires. « Nous avons été très touchés sur la côte du Médoc, mais le plan Palomar nous a beaucoup aidés. Et pour une fois, cela ne nous a pas coûté trop cher. »

Auteur : Jean-Pierre Deroudille et Hélène Rouquette-Valeins
jp.deroudille@sudouest.com
h.valeinsrouquette@sudouest.com

Publié dans L'océan

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